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Dopage au quotidien
Un document de base d'Addiction Suisse
1. Introduction
A en croire les médias, on assiste à une augmentation de la tendance à recourir aux artifices les plus divers pour augmenter sa performance au travail et dans la vie privée. Même des personnes en parfaite santé n'hésitent pas à intervenir dans le fonctionnement de leur corps. Une pratique qui n'a rien de nouveau. Dans le domaine du physique ce souci d'optimisation, nourri par l'obsession contemporaine de la beauté et de la performance, se traduit déjà, du moins dans certains milieux, par la chirurgie esthétique, la médecine sportive et les médicaments « lifestyle » (par exemple les produits anti-âge). En matière de sport, le dopage a déjà provoqué un vaste débat éthique et philosophique, non seulement en raison des risques qu'il comporte pour la santé, mais surtout du manque de fair-play dont les sportifs de compétition font preuve, de l'avis général, en se procurant ainsi des avantages injustifiés sur leurs adversaires. Cette controverse a débouché sur l'établissement de règles concernant l'utilisation des produits dopants. En revanche, la discussion sur l'emploi de ces derniers dans le cadre de la vie privée et professionnel e ne fait que commencer. Avec ce présent document, Addiction Suisse souhaite présenter les questionnements actuels sur le sujet et proposer quelques premières conclusions sur le phénomène. El e entend donner au débat l'éclairage spécifique de l'approche bio-psycho-sociale, qui se réfère à la fois au produit, à l'individu et à la société dans laquel e il évolue. Il nous semble en effet indispensable d'inclure dans le débat, comme dans l'estimation des risques, les aspects sociétaux et éthiques en plus de ceux qui sont propres à l'individu. 2. Clarification des termes
Dans les comptes rendus scientifiques et médiatiques, les produits dopants sont désignés de
manière différente sur le plan sémantique, avec des termes tels que « smart drugs »,
« neuro-enhancers » ou encore « cognitive enhancers ». L'expression anglaise « smart
drug » semble d'une part réduire la substance à quelque chose d'inoffensif, et d'autre part
donne l'impression qu'il s'agit d'un médicament efficace pour améliorer l'état d'un organisme
sain au-delà des normes habituel es. Pour sa part, « enhancement » est un concept connoté
de manière positive. Il signifie « amélioration » et « rehaussement » (mise en valeur).
Contrairement aux « smart drugs », les termes « neuro-enhancers » ou « cognitive
enhancers » comprennent, en sus de la notion de médicament, d'autres potentiels
d'amélioration – pour la plupart hypothétiques – tels que l'accroissement de l'intelligence au
moyen de procédés génétiques.1
Ces trois concepts ont tous une connotation positive sur le plan de leur action ; il est fait totalement abstraction de leur potentiel de risques ou d'emploi abusif. Pour lever cette ambiguïté nous utiliserons l'expression « dopage au quotidien », qui renvoie au sport, où sont généralement présentés côte à côte tant les risques que les attraits de la prise de substances dopantes. Le dopage englobe toutes les tentatives visant à améliorer, au-delà de la norme, les propriétés individuelles d'une personne en bonne santé. On fait également appel au dopage pour lutter contre des facteurs susceptibles d'entraîner une diminution des performances comme la fatigue, les douleurs, l'anxiété, etc. Il recouvre toutes 1 Gesang, B, 2007 ; Perfektionierung des Menschen. Berlin : De Gruyter les interventions qui visent à modifier ou à améliorer des caractéristiques non pathologiques.2 C'est en particulier l'accroissement de la capacité intel ectuelle qui est recherchée de la sorte : pouvoir de concentration, mémoire à long terme, attention et capacité d'apprendre. Mais aussi l'augmentation de son bien-être psychique ou le maintien de celui-ci, en vue de devenir plus performant. Améliorer son rendement, supprimer un ralentissement indésirable dû à l'âge ou à des exigences excessives extérieures, peut sembler utile aussi bien dans le monde du travail qu'à l'école, pendant les études ou durant les loisirs. A plus forte raison quand les charges cognitives et les exigences psychosociales sont en hausse et que les limites naturelles de l'organisme sont perçues comme un handicap à surmonter. Il est bien entendu que nous ne parlons pas ici de méthodes thérapeutiques et que notre propos ne concerne ni la prise de médicaments ni les interventions médicales pour traiter ou prévenir des maladies (ou d'éventuels déficits qui leur soient imputables). Il ne s'agit donc pas des traitements de la médecine dite « classique » qui a recours à des médicaments reconnus, qui sont sûrs, dont l'application a été clairement définie, et qui sont éprouvés sur le plan de leur efficacité. Substances utilisées, leur action et leurs effets secondaires chez des
personnes en bonne santé

Lorsqu'on aborde la question du dopage, divers groupes de substances sont à prendre en compte. À l'extrémité de l'échelle figurent les denrées alimentaires, suivies des compléments alimentaires parmi lesquels les vitamines et les oligo-éléments, puis les stimulants tels que le café et le thé noir. Ensuite viennent les substances psychoactives légales comme le tabac et l'alcool, puis les médicaments que l'on peut se procurer librement sans ordonnance, ceux pour lesquels il en faut une, et enfin les médicaments non commercialisés en Suisse, sans oublier les substances il égales comme les anabolisants, et enfin les psychotropes comme les amphétamines, le cannabis, le khat et la cocaïne. Le présent document se limite à la discussion du dopage au quotidien au moyen de substances chimiques ou pharmacologiques. Parmi celles-ci, il se penche en particulier sur l'utilisation hors prescription (off-label3) de médicaments soumis à ordonnance et sur la prise de substances il égales. Il traite surtout des médicaments psychopharmacologiques appartenant aux groupes des antidépresseurs, des médicaments spécifiques anti-démentiels, stimulants et des bêtabloquants. Parmi les principes actifs stimulants, on trouve par exemple le méthylphénidate (dont l'un des noms commerciaux est la Ritaline®) qui est autorisée dans le traitement des troubles de déficit de l'attention et d'hyperactivité (TDAH), et le modafinil (dont le nom commercial est le Modasomil®) pour le traitement de la narcolepsie4. Les produits contre la démence constituent un autre groupe de substances ; ils ont été développés pour combattre ce type de maladies et comprennent entre autres les inhibiteurs de l'acétylcholine (Aricept®, Exelon®, Reminil) et les modulateurs des récepteurs du glutamate (Axura®, Ebixa®). Lorsqu'ils sont utilisés par une personne en bonne santé, ils sont censés améliorer l'attention, la mémoire et la capacité d'apprendre. Pour leur part, les antidépresseurs améliorent ou stabilisent l'humeur. Quant aux bêtabloquants, ils servent au traitement des séquel es physiques et mentales du stress et de la surcharge de travail ; il 2 Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) 3 Par « utilisation off-label » on entend l'usage, en-dehors des indications agréées par les autorités, d'un médicament donné. Il existe peut-être des enquêtes permettant de supposer que cette pratique offre un certain avantage ; mais ni l'efficacité de ces médicaments pour le dopage ni leurs effets indésirables pour ce nouveau groupe-cible ne sont suffisamment étayés pour qu'une autorisation leur soit accordée. L'utilisation off-label est tolérée lorsque le médecin qui prescrit le médicament tient compte de l'état actuel des connaissances à ce sujet et qu'une telle indication est avérée. 4 Gleske, G et al. 2011, Hirndoping. Die Position der Deutschen Hauptstelle für Suchtfragen e.V. (DHS) existe à ce sujet des études (assez anciennes) qui semblent prouver une certaine efficacité.5 Dans les paragraphes suivants nous revenons brièvement sur la question de l' (absence d‘) efficacité et des éventuels effets secondaires.  Action et effets secondaires des antidépresseurs chez les personnes en bonne Toutes les études récentes et scientifiquement reconnues sur l'effet des antidépresseurs prouvent que ces médicaments n'améliorent pas l'état émotionnel des personnes en bonne santé, par rapport à l'administration d'un placebo. Qui plus est, certaines substances conduisent souvent à une péjoration des propriétés physiques utiles au bon fonctionnement de l'organisme, lorsqu'elles sont ingérées par des personnes qui se portent bien. La consommation de Fluoxétine®, Citalopram® et Sertraline®, pour ne citer que ces produits, entraîne une diminution de l'attention et de la vigilance. On peut donc affirmer que les antidépresseurs ne contribuent ni à remonter le moral des bien portants ni à améliorer leurs performances. Action et effets secondaires des médicaments contre la démence chez les personnes en bonne santé Il en va de même pour les études portant sur l'efficacité des médicaments anti-démentiels. Dans l'ensemble, elles n'apportent aucune preuve que ces substances puissent améliorer la mémoire des sujets sains. En revanche, elles peuvent déclencher une multitude d'effets indésirables telles que maux de tête, anxiété et nausées. On ne connaît encore rien des éventuels risques à long terme de la prise de ces produits chez des individus bien portants.  Action et effets secondaires des stimulants chez les personnes en bonne santé Concernant l'administration de substances stimulantes comme le méthylphénidate et le Modafinil à des individus sains, Finke et al. (2010) ont trouvé qu'elle ne débouche pas toujours sur l'amélioration des performances de l'attention visuel e. Seuls en ont bénéficié les adultes en bonne santé qui présentaient au départ une faculté d'attention plutôt faible. Ceux qui possédaient déjà de bonnes capacités sur ce plan ont vu leurs performances se détériorer en raison des niveaux plasmatiques élevés de ces médicaments. Dans le cadre de plusieurs études portant sur diverses substances (Franke & Lieb 2009), rien n'a pu être prouvé non plus de manière fiable concernant un quelconque effet positif sur les fonctions de la mémoire chez des individus en bonne santé : leur capacité d'apprendre n'en a pas été améliorée. Quant au méhylphénidate, il n'agit pas de manière avérée, en comparaison avec un placebo, sur les performances exigées des étudiants lors d'examens. Certes, Agay et al. (2010) ont pu documenter une amélioration de la mémoire de travail (mémorisation à court terme de séries de chiffres) ; mais une amélioration de l'attention soutenue n'a pas pu être mise en évidence, comparée avec celle d'un groupe soumis à un placebo. On a même observé, chez les sujets sains, une moins bonne performance lors de tâches décisionnel es que dans le groupe placebo. Ces tâches correspondaient à celles qui sont exigées par exemple dans les tests à choix multiple ou dans les examens oraux. Plus encore, la prise de méthylphénidate lorsqu'on possède déjà un bon centrage de l'attention conduit fréquemment à une diminution de l'activité des zones du cerveau responsables de la planification et de la volonté d'agir. Il s'ensuit une réduction mesurable de l'approvisionnement en énergie et donc l'inverse de l'augmentation d'énergie souhaitée (Volkow et al. 2008). Parallèlement à la réduction des capacités d'action et de planification, la prise de méthylphénidate induit 5 Faigel, HC., 1991 ; The effect of beta blockade on stress-induced cognitive dysfunction in adolescents. Clin Pediatr (Phila). 30(7) : 441-5 6 La description de l'action et des effets secondaires des divers groupes de substances figurant ci-après ainsi que les informations citées sont tirées du document de prise de position de la « deutschen Hauptstelle für Suchtfragen (DHS) » : Gleske, G et al. 2011, Hirndoping. Die Position der Deutschen Hauptstelle für Suchtfragen e.V. (DHS) fréquemment chez les sujets sains des états d'euphorie et d'exubérance (Wilens et al. 2008) pouvant conduire à la surestimation de leurs propres capacités et par conséquent se révéler négatifs en situation d'examens, les étudiants ayant alors tendance à aborder ces derniers à la légère. En résumé, on peut affirmer que l'efficacité des substances censées améliorer les performances n'est souvent que modérée, voire contradictoire, quand elle n'est pas inexistante, et que l'amélioration dans un domaine va probablement de pair avec une péjoration dans un autre. En outre, les rares études disponibles ont pour la plupart été menées en laboratoire, ce qui rend sujette à caution leur transposition dans la vie courante. Fréquence du dopage au quotidien
Aux Etats-Unis, de nombreuses enquêtes ont déjà été réalisées sur l'utilisation de médicaments dopants par des sujets sains. Un sondage en ligne du magazine Nature a révélé que 20% des 1'400 étudiants universitaires sondés dans environ 60 pays avaient ingéré au moins une fois un médicament de type méthylphénidate, Modafinil ou bêtabloquants, sans aucune indication médicale7. En Europe, les données sur ce sujet sont encore lacunaires. Une étude de la caisse-maladie allemande des employés (DAK, Krankenversicherer aus Deutschland)8 a interrogé 3'000 personnes professionnel ement actives entre 20 et 50 ans sur leur consommation de médicaments au travail. L'enquête fait la distinction entre d'une part les produits dopants (stimulants et anti-démentiels), et de l'autre ceux qui favorisent le bien-être psychique (antidépresseurs et bêtabloquants). El e arrive à la conclusion que 5% (env. 2 mil ions sur 40 mil ions) de la population active en Allemagne a déjà absorbé des médicaments pour améliorer ses performances cérébrales ou son état psychique et 2,2% (env. 800'000) en prennent régulièrement à des fins de dopage. Selon une étude du Secrétariat d'État à l'économie (SECO) menée en 2010 sur le stress au travail9, 32% des Suisses professionnel ement actifs interrogés ont déclaré avoir consommé, durant les 12 mois précédant l'enquête, des médicaments ou d'autres substances analogues. Ils invoquaient diverses raisons, toutes en lien avec leur emploi, comme de pouvoir continuer à travail er malgré l'existence de douleurs, arriver à se détendre après le travail ou encore à s'endormir le soir. Par contre, seuls 4% des personnes ont affirmé avoir recours au dopage pour se procurer une meil eure santé ou un meil eur moral et augmenter ainsi leurs performances professionnel es. Une évaluation de la caisse-maladie Helsana portant sur les années 2006 à 200910 montre que la vente de médicaments TDAH, comme la Ritaline® (méthylphénidate) est en constante augmentation en Suisse. D'après cette enquête, rien qu'en 2009, au total 5'100 assurés (soit 0,37%) en ont consommé, ce qui représente 42% de plus qu'en 2006. On peut donc estimer que pour la même année, dans l'ensemble de la Suisse, environ 29'000 personnes en ont 7 Le cerveau optimisé, revue « Gehirn und Geist », 11/2009 8 DAK - Deutsche Angestellten-Krankenkasse (Hrsg.), 2009 ; rapport de santé 2009. Analyse des données sur l'incapacité de travail. Thème central : le dopage au travail. Hambourg. Disponible sous http://www.dak.de/content/filesopen/Gesundheitsreport_2009.pdf [17.1.2011] 9 Études sur le stress 2010 : « Le stress chez les Suisses en emploi – rapports entre les conditions de travail, les caractéristiques personnelles, la santé et l'état général » de S. Grebner, I. Berlowitz, V. Alvaranda et M. Cassina de la Haute École Spécialisée de la Suisse de nord-ouest, Hochschule für Angewandte Psychologie, juin 2011; sur mandat du Secréariat d'État à l'économie SECO 10 Kühne R. / Rapold R., 2011 : L'achat de méthylphénidate en Suisse. Pas de quoi s'alarmer, néanmoins des questions se posent. Dans le Bulletin des Médecins suisses numéro 34 / 2011 pris. Ce qui frappe, c'est la forte augmentation non seulement chez les enfants mais aussi chez les adultes : selon les auteurs, la frontière entre thérapie et abus serait assez floue. 5. Situation juridique : denrées alimentaires ou médicaments? 11
Un cadre légal clair fait encore défaut pour qu'on puisse répondre à toutes les interrogations soulevées par le dopage au quotidien, d'autant plus qu'elles touchent à des domaines juridiques différents. Ce qui vient en outre compliquer les choses, c'est que le dopage au quotidien n'est réglé ni au niveau de l'UE, ni dans nos pays voisins ; on manque donc de lignes directrices pour en traiter les aspects de droit. La question centrale est de savoir si les substances utilisées pour le dopage au quotidien sont, ou devraient être, classées parmi les aliments ou les médicaments. Ceci pour deux raisons. Premièrement, les dispositions légales ne sont pas les mêmes pour ces deux catégories.
Pour qu'un médicament soit autorisé, il faut prouver que le produit est efficace et sûr. En
revanche, s'il s'agit d'un aliment, les exigences sont moins élevées : il suffit pour obtenir son
autorisation qu'il ne « mette pas la santé en danger ».
Le Tribunal fédéral suisse, dans un jugement de l'année 2000, a fixé des critères pour délimiter les denrées alimentaires et les médicaments12. Plus un produit vise à nourrir, fortifier ou entretenir l'organisme, plus il est assujetti à la loi sur les denrées alimentaires et à l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). En revanche, lorsqu'un composé végétal a des vertus curatives ou s'il est vanté surtout pour son effet thérapeutique, il tombe dans le domaine de la loi sur les médicaments et relève des compétences de Swissmedic. Deuxièmement, les dispositions légales concernant la publicité diffèrent el es aussi. Pour les
médicaments, elle est interdite lorsqu'elle pourrait inciter à un usage immodéré, abusif ou
inapproprié ; en outre, la publicité adressée aux profanes pour des médicaments soumis à
ordonnance médicale est interdite de même que la publicité pour ceux qui font souvent
l'objet d'abus ou sont susceptibles de mener à l'accoutumance ou à la dépendance. Quant à
la publicité pour les denrées alimentaires, elle bénéficie d'une loi moins sévère : le message,
la présentation et l'emballage ne doivent pas leurrer le consommateur, ni susciter chez lui
une fausse idée des effets et de la valeur du produit.
6. Dopage au quotidien : réflexions d'ordre médical, social et éthique
De tout temps, les êtres humains ont aspiré à améliorer leur vie et leurs conditions
d'existence. Bien conscients d'avoir des ressources limitées, ils ont cherché à accroître leurs
performances afin d'obtenir le meil eur rendement possible pour un investissement donné.
Dans les cultures les plus diverses et à toutes les époques, ils ont fait appel à des dérivés de
plantes, à des produits chimiques, aux seules fins d'acquérir davantage d'endurance et de
développer leurs capacités. Dans les Andes par exemple, mâcher des feuil es de coca pour
supprimer la faim et la fatigue est un élément indissociable de la culture locale ; sous nos
latitudes, prendre des analgésiques a toujours permis aux horlogers qui travail ent aux
pièces de maintenir une cadence élevée malgré l'apparition de migraines. Tenter d'améliorer
ses performances n'a rien de nouveau ; mais ce qui l'est de nos jours, c'est l'ampleur du
marché des substances proposées et la facilité avec laquel e on se les procure sur internet.
L'abus de médicaments n'est pas non plus un phénomène nouveau. Mais jusqu'à ces dernières années, il visait uniquement à procurer un effet calmant ou euphorisant, à modifier la perception de la réalité ou de certaines expériences. Or il est devenu entre-temps un 11 Ce chapitre est basé sur un article de Anner, M. 2010 ; dans : Suchtmagazin, 2/2010, p. 17 moyen de s'adapter aux exigences, réel es ou subjectives, du quotidien, dans une société lancée à la poursuite d'un niveau de performances en hausse perpétuel e13. Ce changement soulève bien des questions d'ordre médical, social et éthique, que nous allons esquisser brièvement ci-après. Risques et bénéfices Afin d'évaluer le rapport risques/bénéfices, on part du principe qu'on s'accommode d'un nombre plus élevé d'effets secondaires pour soigner les maladies que pour optimaliser le rendement d'un individu en santé. Pour que le bilan soit jugé positif, il faudrait que le danger encouru lors de l'ingestion des substances en cause soit extrêmement faible. De plus, lorsque ces dernières sont utilisées comme dopage au quotidien, on doit porter un regard critique sur leur potentiel de dépendance, tout particulièrement de dépendance psychique, et pas seulement sur leurs effets secondaires pharmacologiques, qui sont en partie connus (voir chapitre 2). Dans ce contexte, les motifs de consommation sous-jacents revêtent une signification non négligeable, comme c'est le cas pour d'autres substances psychoactives analogues : une motivation « de maîtrise » (on consomme pour mieux maîtriser une situation problématique) conduira plus facilement à la dépendance (psychique) qu'une motivation « de plaisir », surtout lorsque la situation problématique dure depuis longtemps (par exemple lors de stress chronique ou de surmenage au travail). Il est toutefois relativement peu probable que l'on puisse développer, à court ou à moyen terme, des substances efficaces qui soient sans effets secondaires lorsqu'on en prend fréquemment. Il ne faut pas oublier que le cerveau humain est un système extrêmement complexe, non linéaire, pourvu de mécanismes de régulation et de feed-back très variés. Pour pouvoir réel ement peser les avantages et les risques, il faudrait tout d'abord disposer de données approfondies sur les dangers qu'il y a à prendre ces substances pendant plusieurs années. Mais comme il n'existe à ce jour aucune étude représentative dans la durée, il est impossible de procéder à une telle évaluation dans l'état actuel de nos connaissances. Quant aux bénéfices, ils soulèvent eux aussi des questions essentielles : comment les définir ? Que signifie « mieux » ? Etre mieux que mon rendement habituel, mieux que les autres, mieux que le meil eur ? Est-ce que « mieux » signifie, au-delà du « mieux que », autre chose encore, comme « nouveau », comme « différent » ? Ou encore : plus vite, plus rapidement au but ? Et si oui, quel but ? L'objectif devient-il à son tour « le meil eur » ou « le plus désirable » ? À qui profitent les avantages du dopage au quotidien ? Se résument-ils à la performance fournie par la personne à son poste de travail ? Les coûts financiers et les risques encourus sont-ils portés par l'individu, alors que les avantages économiques sont au bénéfice des actionnaires ? Ces questions de base méritent une discussion aussi approfondie que le chapitre des séquel es à court et à long terme. Autonomie et organisation personnel e versus pressions et course à la performance Dans le cadre du débat sur les aspects éthiques du dopage au quotidien, les partisans mettent l'accent sur l'autonomie individuelle, au sens de la prise de décision indépendante. Ils préconisent par conséquent le libre accès aux substances dopantes, pour autant qu'autrui n'en subisse pas de préjudice14. Ils affirment ainsi reconnaître l'authenticité des actes de toute personne, lorsqu'ils sont en accord avec ses convictions et son projet de vie. Pour eux, 13 Gleske, G et al. 2011, Hirndoping. Die Position der Deutschen Hauptstelle für Suchtfragen e.V. (DHS) 14 Sententia W. (2004) Neuroethical considerations: Cognitive Liberty and Converging Technologies for Improving Human Cognition . Ann. N.Y.Acad.Sci. 1013:221-228 l'important n'est pas qu'une personne garde telles quel es ses aptitudes, mais bien plutôt qu'elle sache prendre ses décisions en toute indépendance. « Par voie de conséquence, l'influence exercée par un « neuro-enhancer » peut constituer une forme authentique d'image de soi, admettant que les caractéristiques individuelles qui en résultent pour la personne, et l'effet sur sa vie, lui sont propres au sens le plus fort du terme, car elles sont en accord avec ses propres désirs et représentations et ont été choisies de manière indépendante »15. À ce point de vue, on peut opposer que l'être humain n'est pas un individu isolé mais un être social, que son identité et sa personnalité se développent grâce à l'échange avec autrui et aux expériences qu'il est appelé à vivre (et qui impliquent forcément aussi des détours et des échecs). Lorsqu'on modifie rapidement, par induction chimique, les caractéristiques des personnes sans que ce processus ne soit basé sur l'expérience, la question se pose de savoir dans quel e mesure ce changement est à attribuer à la personnalité ou à la substance. Cela peut s'avérer compliqué, non seulement pour ce qui touche à l'image que l'on a de soi, mais également par rapport à celle que l'on donne aux autres. Par ail eurs, certains critiques doutent que le comportement d'une personne dopée puisse réel ement être qualifié d'indépendant. En effet, la nécessité de se montrer performant n'ayant de raison d'être que dans un contexte social, à travers la comparaison et la concurrence avec autrui, opter pour le dopage est rarement une décision exempte de contraintes sociales16. En plus de la pression sociale qui peut s'exercer au travail, on est en droit de porter un regard critique sur le rôle des médias et sur l'influence qui peut être la leur ; en se faisant l'écho d'une seule et unique opinion, ils accentuent encore la pression qui incite le public à vouloir atteindre un idéal de performance exagéré. De son côté, la publicité n'est pas en reste et contribue elle aussi à la construction d'un tel idéal. Exploitation maximale du potentiel de la nature humaine versus dépassement des limites naturelles Parallèlement au manque de connaissances actuel es sur les risques et le profil d'action – encore assez flou – des substances utilisées dans le cadre du dopage au quotidien, la cause principale du scepticisme à son égard réside dans le fait que beaucoup y voient une intervention artificielle au niveau du corps. Alors qu'il constitue pour ses détracteurs une remise en question du naturel et de l'authenticité de l'être humain, ses adeptes avancent l'argument selon lequel un prétendu « soi authentique et naturel » ne serait qu'un mythe ou une construction sociale qui ne s'inscrirait pas dans la durée. Vues sous cet angle, des valeurs comme le naturel et l'authenticité sont fluctuantes : « Si le cognitive enhancement devait un jour permettre de satisfaire les besoins de tout un chacun et, dans les limites du raisonnable, ses désirs en matière de plaisirs et de prestige, les valeurs que sont le naturel et l'authenticité seraient bientôt mises sous pression»17. De ce point de vue, comme il n'existe pas de soi déterminant ni durable, il n'y a aucune raison de ne pas optimiser sa manière de fonctionner. Le dopage permettrait ainsi d'exploiter à fond le potentiel de la nature humaine. Égalité des chances versus exacerbation de l'injustice sociale Comme dans le domaine du sport, des voix critiques s'élèvent pour dénoncer l'usage du dopage au travail ou pendant les études, arguant qu'en procurant à certains un avantage face à leurs rivaux, il débouche sur une inégalité sociale nouvelle – dans l'hypothèse où une substance améliorant véritablement la performance serait développée: il semble en effet 15 DeGrazia 2000 ; Hildt 2008 ; dans : Suchtmagazin, 2/2010 ; p. 9 16 Hildt, E. Neuro-enhancement – Survol. Dans : Suchtmagazin, 2/2010, p. 6 17Biedermann, F., 2010. « Smart Drugs » vor dem gesellschaftlichen Durchbruch? Dans : Suchtmagazin, 2/2010, p. 15 injuste qu'en situation d'examens, par exemple, les uns s'accordent grâce à cette pratique une longueur d'avance sur les autres. On peut répondre à cela que les substances dopantes ont le mérite de gommer, du moins en partie, les désavantages inhérents à la nature chez ceux et celles qui sont défavorisés en regard à la moyenne. Il faudrait toutefois pour cela que le dopage soit accessible à tous les groupes sociaux, à défaut de quoi une nouvelle injustice verrait le jour. Une fois les substances et les méthodes rendues disponibles pour tous les intéressés, il n'y aurait plus aucun avantage à espérer sur le plan de la concurrence. La prise de substances chimiques se bornerait alors à élever le niveau général de performance – on se retrouverait ainsi à la case départ, simplement à un étage au-dessus. La pression sociale pourrait devenir telle que ne pas se doper deviendrait une affaire privée, et que ceux et celles qui choisiraient cette voie se verraient alors pénalisés. La question de principe qui se pose est celle-ci : le dopage au quotidien ne nourrit-il pas l'il usion que tout est accessible à tout le monde ? (« croyance de faisabilité »). Question qui, à son tour, en soulève une autre : jusqu'à quel point la société doit-elle se soumettre, dans le domaine du travail et celui de la formation, à la pression croissante de la concurrence et à la course effrénée aux performances ? 7. Que faire ? Premières pistes de réflexion


Informer et sensibiliser Comme c'est le cas pour d'autres substances potentiellement génératrices d'addiction, l'information des consommatrices et des consommateurs constitue une condition préalable essentiel e : elle va leur permettre de se positionner de manière responsable et leur donner les moyens d'opter, en toute connaissance de cause et en toute indépendance, pour ou contre le recours au dopage. Il va de soi que la plus grande transparence s'impose, entre autres pour tout ce qui touche aux risques et aux effets – voire à l'absence d'effets – des produits concernés (preuve de l'efficacité). En sus des données sur les substances elles-mêmes, il faut diffuser des informations sur le contexte social et économique, car on doit offrir à chacun la possibilité de développer sa propre position, en particulier sur le plan politique, à propos des conditions collectives dans lesquel es on est poussé à consommer des médicaments dopants. Les médias peuvent jouer un rôle significatif au niveau de la sensibilisation en diffusant des comptes rendus plus circonspects, pour ne pas dire critiques, sur les soi-disant « remèdes miracles ». Instaurer un monde du travail et un espace de vie favorables à la santé Le problème central à l'origine du dopage, soit la gestion quotidienne d'exigences en continuelle augmentation, ne doit en aucun cas être traité sous le seul angle de l'individu. Il procède d'une évolution de la société dans son ensemble et demande donc une approche de principe. Il implique la création de conditions-cadres sociales et économiques qui, loin de mettre en péril la santé, sont au contraire conçues pour la favoriser. Personne ne devrait avoir besoin de prendre des produits dopants. Quant aux centres de prévention des addictions, ils devraient à l'avenir prendre en compte la problématique du dopage dans leur offre de prestations. En outre, il importe de promouvoir certaines compétences personnel es comme la capacité de faire face au stress sans recourir à des substances, de savoir différer la satisfaction de certains besoins ou de gérer la pression sociale, ceci dans divers domaines de la vie courante. Réguler la remise des médicaments et en contrôler l'accessibilité Il est indispensable d'adapter les régulations en vigueur pour l'autorisation et la remise de médicaments : les nouvelles substances et les nouvelles « catégories thérapeutiques » doivent être répertoriées. En les catégorisant de manière adéquate dans les classes déjà existantes, on évitera qu'elles ne basculent dans l'illégalité. Par ail eurs, en régulant les messages publicitaires, on protège le consommateur des allégations fallacieuses. Les médecins jouent aussi un rôle important sur le plan de la remise d'ordonnances : ils évaluent la nécessité de prescrire, informent sur les risques, rendent attentif leur patient aux alternatives possibles. Cela dit, on ne doit pas négliger la question des ordonnances de complaisance, comme dans le cas des médicaments ordinaires. Il est ainsi important de sensibiliser le corps médical à ce sujet.  Protéger tout spécialement les enfants La pratique actuel e de prescription médicale de psychotropes aux enfants est actuellement discutée dans le but de protéger les mineurs d'un recours en augmentation à ces médicaments.  Créer une meil eure base de données, plus exhaustive En Suisse, nous ne possédons encore pratiquement aucune donnée sur le dopage au quotidien, ni sur les risques encourus, ni sur l'étendue du phénomène, ni sur les motifs à consommer ou les contextes sociaux dans lesquels il est pratiqué. La collecte de données ne doit pas se borner à la recherche pharmacologique : des études en sciences sociales sont indispensables si l'on veut déceler assez tôt les évolutions de la société et les nouvelles tendances pour les observer et évaluer leurs effets sur les situations individuelles ainsi que sur les comportements. 8. En résumé conclusif
À l'heure actuelle, l'effet de la plupart des substances dopantes n'est pas encore prouvé. Pour certaines d'entre el es, il existe cependant des indices permettant d'affirmer qu'elles améliorent l'une ou l'autre faculté cognitive (par exemple le pouvoir de concentration), tout en diminuant fréquemment d'autres domaines de la pensée, comme la pensée créative. Même si les produits de dopage au quotidien ne sont pas encore très répandus, du point de vue de la prévention, il est essentiel de se poser les questions de fond avant que l'évolution ne devienne problématique. Il est en effet fort probable que l'offre et la demande en matière de produits dopants vont aller croissant – en particulier dans le contexte actuel où l'on attend de tout individu qu'il soit « en forme 24 heures sur 24 » dans les domaines les plus variés de la vie courante. La notion de « plus vite, mieux, plus longtemps », aussi bien au travail que dans les loisirs, est un « idéal » que la publicité n'est pas la dernière à véhiculer. Sans compter que d'énormes intérêts économiques sont en jeu pour l'industrie pharmaceutique. Si l'on réussissait à développer des substances qui soient efficaces sans pour autant présenter d'effets secondaires, ou très peu, il n'est pas difficile d'imaginer quels juteux bénéfices se profileraient à l'horizon. Il faut se rappeler que les personnes malades nécessitant un traitement médical ne représentent qu'une faible minorité de la population ; si les bien portants se mettaient tout à coup à consommer eux aussi des médicaments, les fabricants pourraient en tirer un énorme profit. Il nous semble important de ne pas débattre du « dopage au quotidien » comme d'un phénomène isolé. Car les questions de base ayant trait à ce phénomène ne portent pas que sur les substances dopantes mais aussi sur la tendance générale à la médicalisation que connaît notre société. Si la seule solution envisageable lorsque surviennent des problèmes sociaux ou psychosociaux est d'avaler une pilule, à l'exclusion de toute autre alternative, on peut affirmer que notre modèle du « bio-psycho-social » est en train de se réduire à un simple modèle « bio ». Il ne s'agit pas ici de juger ou de bannir le dopage, mais bien plutôt de mettre sur le tapis les questions fondamentales d'ordre social et éthique qu'il soulève. Ce terrain-là, ne doit pas être laissé à la seule recherche pharmacologique.

Source: http://www.addictionsuisse.ch/fileadmin/user_upload/DocUpload/Dopage_quotidien.pdf

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Metformin mitigates the impaired development of skeletal muscle in the offspring of obese mice

Citation: Nutrition and Diabetes (2011) 1, e7; doi:10.1038/nutd.2011.3& 2011 Macmillan Publishers Limited All rights reserved 2044-4052/11 Metformin mitigates the impaired development ofskeletal muscle in the offspring of obese mice JF Tong1, X Yan1, JX Zhao1, MJ Zhu1, PW Nathanielsz2 and M Du1 1Developmental Biology Group, Department of Animal Science, University of Wyoming, Laramie, WY, USA and 2Center forPregnancy and Newborn Research, University of Texas Health Sciences Center, San Antonio, TX, USA